…alors, la forme?
on l'a entendue combien de fois à Zermatt, cette petite phrase? Je rigole sous cape, ça me rappelle la fin des grossesses: "alors ce bébé, pas encore là?" que peut-on répondre à ça?
On ne sait si on est dans un bon jour que lorsqu'on est partis.
Nous voilà donc toutes les trois, les deux Isabelles et moi à Zermatt, le vendredi 28 avril. On part ce soir à 11 heures. Zermatt s'anime d'un multitude de groupes de trois outrageusement bronzés. ça parle français, italien, allemand. Les touristes sont en minorité, c'est le creux de la saison. L'avant-patrouille, c'est une série de rituels: on fait contrôler son matériel, on va religieusement écouter les informations du commandant sur l'état du parcours et la météo, on se fait féliciter d'avance par quelques politiciens, et on se fait même bénir par le curé de Zermatt! Cette fois, on a même eu droit à une interview…
Isabelle a tenté de faire accepter une corde de chez jumbo. Rien à faire, le guide Jelk a rigolé en la voyant. A la dernière minute, il y fallu réinstaller l'élastique sur ma corde, qui était correctement homologuée…ce qui a beaucoup intéressé nos voisins français et nous a valu de passer un joyeux souper en leur compagnie.
Puis ce sont les derniers préparatifs, un maigre repos dans le noir alors que la musique se déchaîne dehors. 10h, premier départ. C'est fort, de voir partir ces skieurs au pas de course vers le noir de la montagne. Je n'avais en fait jamais assisté à un départ, car nous prenions toujours le premier. ça me donne le frisson.
Bientôt 11 heures, ça va être à nous! Harnachées dans nos baudriers, skis au dos, lampe au front, j'ai plutôt l'impression de partir en expé de spéléo.
C'est parti! au milieu des vivats et applaudissement, on traverse Zermatt au pas de course. Les poumons en prennent un coup. Mais c'est la fête dans les rues, le public nous porte en avant, alors on peut souffrir un peu. Puis c'est l'arrivée dans le noir velours de la montagne. C'est le moment que je préfère, cette traversée dans la nuit: en effet, sans souci d'itinéraire, on peut se concentrer sur l'effort tout en percevant la grande présence du Cervin, de la Tête blanche, des glaciers qui craquent et des pierriers qui s'émiettent. Au galop jusqu'à Schönbiel. J'ai l'impression de traverser une steppe loin de tout. Dans le brouillard, on ne perçoit que de vagues lueurs. Puis c'est Noël dans le mur du Stöckli et dans les dernières pentes de Tête Blanche, avec plein de lumignons: on rejoint ceux qui sont partis à 10 heures. C'est un passage où il fait froid, les équipes s'habillent. On entend des conversations étouffées, des exclamations. Ambiance irréelle. Au sommet, ne pas traîner, on a les doigts qui gèlent. Les soldats sont sympas, ça réconforte…
La descente de nuit, encordées, est un supplice: les Isabelles foncent, et moi, la plus maladroite, je panique un peu derrière, les jambes explosées. Sans chutes nous rejoignons le plat. Les étoiles apparaissent et au loin brille le poste de Bertol. Je suis surprise d'y retrouver David, bien camouflé dans sa tenue militaire. Il me donne des nouvelles de Thomas, qui est passé comme un avion parmi les premières patrouilles…
Descente exécrable sur Arolla (brouillard, nuit, neige pourrie et cailloux) et premières souffrances à la montée de Riedmatten. Pas de puissance. C'est comme si j'avançais avec le frein à main. Ne pas paniquer, se concentrer, trouver le rythme juste. A Riedmattent, José et René me redonnent du courage, quel bonheur!
La descente du col ressemble au radeau de la méduse: des grappes de coureurs agglutinés sur les cordes, pédalant dans la caillasse gelée. ça bouchonne, tonnerre! les pros n'en font pas grand cas, ils foncent à travers la masse sans frémir, les voilà déjà loin dans un nuage de protestations.
Ne pas lâcher. Patiner le long du lac des Dix (efficace, la trace est dure), puis remonter vers la belle Rosablanche. Ne pas regarder en haut, juste ses pieds et avancer régulièrement. Il y a plein de monde en haut, c'est la fête avec des cloches! dans mon effort, je me dis: mais elles sont où les vaches?
On les enfile les uns après les autres, ces talus, voici le dernier, je vais enfin pouvoir descendre pour rejoindre la petite tribu qui se réjouit tellement de nous voir arriver.
Dernier gag de cette expédition: courir à travers Verbier, ben oui, on nous applaudit au passage, alors il faut faire bonne figure, non? Partout des familles, des petiots qui agitent de drapeaux "vas-y papa", ou même une classe venue soutenir sa maîtresse. On voit souvent des coureurs finir la course avec leur bambins dans les bras.C'est le charme de la fin de cette course. Yann et Kim, mes deux derniers nous ont vues, ils nous rejoignent au pas de course pour le dernier bout. Billie et Flore sont là aussi, avec un gâteau. Embrassades…poignée de main du grand chef…pas trop mal. Nous serons sixièmes au classement.
Plus que le classement, pour moi, c'est le bonheur d'avoir traversé un bout des Alpes à skis qui me restera en mémoire. Je me dis que c'est un jeu où je dois traverser monts et vaux pour aller retrouver mes enfants, ce qui me motive et me donne de l'énergie. Bien sûr, il faut tout donner pour l'équipe, ne frustrer personne, c'est là la vraie pression…
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